Diane de Jouvencel*,
De la presse à la lutte contre la malnutrition …


Diane de Jouvencel est une fille de la campagne … évidemment rien ne l'indique dans cette parisienne bien mise... elle est fille d’agriculteur et elle a passé toute son enfance et une partie de son adolescence dans sa région natale dans le Berry à proximité de Vierzon. C'est à 15 ans, pour son entrée en seconde, que ses parents l'envoient à Paris pour terminer sa scolarité avant ses études supérieures. Son père la verrait bien expert comptable. A cette évocation, Diane fait la moue … « mouais... les chiffres je n'avais rien contre, mais expert comptable je ne suis pas sûre que cela me branchait beaucoup ! ». Elle transige pour sciences éco et 4 ans plus tard, à 22 ans et sa maîtrise en poche, elle rêve d'indépendance. Elle se cherche donc un job, qu'elle trouve sans difficulté. Nous sommes en 1981 … «  A cette époque, on ne se faisait vraiment pas de souci et du travail on en trouvait sans problème et plutôt intéressant quand on était jeune diplômée. »

Elle intègre les équipes de Bernard Krief Consultants, cabinet très en vue à l'époque, comme adjointe de la directrice financière et côtoie le petit monde entreprenant des consultants et des communicants dont un futur premier ministre : Jean-Pierre Raffarin, avec qui elle s'entend fort bien.
Mais c'est une première expérience qui en appelle d'autres … ayant goûté indirectement au monde de la communication, elle a envie de s'en approcher d'un peu plus près. Le groupe Prisma Presse a le vent en poupe et son fondateur Axel Ganz va lancer en France un nouveau magazine féminin : Femme Actuelle... il recrute … Diane se présente à la direction financière,... mais cela traîne … on lui préfère un homme, qui heureusement pour elle ne fera pas long feu… la directrice se souvient de Diane et l'impose : c'est elle que je veux ! Elle rejoint le contrôle de gestion de ce groupe de presse qui à l'époque se développe dans toutes les directions.
Pour quelqu'un qui n'aimait que moyennement les chiffres … « Oui, c'est vrai, déclare Diane, mais en fait j'ai appris à les aimer en les utilisant pour les faire parler ; le contrôle de gestion, cela devient passionnant quand on est en mesure, avec des chiffres, d'aider à la prise de décision.» Et c'est ce qu'elle fera pendant les années d'or du groupe sous l'instigation d'Axel Ganz, dirigeant charismatique et fonceur ! « Cela a été une époque fantastique ! se souvient Diane, on travaillait dans une espèce d’effervescence miraculeuse et tout fonctionnait ».

Bien que prenant, son travail lui laisse suffisamment de loisirs pour partir à l'étranger. N'ayant pas d'enfant, elle préfère partir l'hiver et à l'écart des touristes. Elle part de plus en plus loin, avec une amie photographe, en prenant soin d'éviter les sentiers battus … C'est ainsi qu'en 1988, elle découvre l'Asie pour la première fois, à l'occasion d'un séjour en Thaïlande puis en Birmanie, juste avant sa fermeture. Et c'est un choc, un coup de foudre. Année après année, souvent avec son amie photographe, elle part à la découverte d'autres pays d'Asie : le Laos, le Cambodge, le Vietnam, puis l'Inde. «  On voyageait léger, seules, et avec l'intention de passer du temps avec les gens sur place ; on était toujours bien accueillies ». Chez Prisma on s'inquiète un peu de ses tendances d'aventurière, mais comme elle revient à chaque fois...
En 1997, elle part à Calcutta, chez Mère Teresa, qu'elle rencontre … et c'est un nouveau choc... Pendant quelques jours avec les sœurs missionnaires de la charité elle participera à la vie de la communauté et apportera un peu d'aide et de soulagement au sein du grand mouroir. Cette expérience la marquera durablement : « pas seulement parce que cela était affreusement éprouvant mais parce que pendant ces quelques jours je me suis sentie vraiment utile... c'est à partir de ce moment là que j'ai commencé à réfléchir à ce que j'allais faire du reste de ma vie.»
A l'aube des années 2000 et de ses quarante ans, Diane décide de quitter Prisma. Quand ses amis lui demande pourquoi, elle déclare : « mais si je ne pars pas, j'y serai encore jusqu'à ma retraite ... ». Elle démissionne.
Mais elle ne fera pas encore le grand saut. Elle change juste d’environnement. Le magazine Zurban vient de se créer avec sa version papier et en ligne … c'est innovant, différent … Diane tente l'aventure. Elle est en charge du montage de la partie gestion du magazine papier ; il y a de l'argent, beaucoup d'argent, trop peut-être, un peu trop facile, et pas assez de sens à son goût. Elle ne s'y retrouve pas. Trois mois après, elle laisse tomber et se prend une année sabbatique. Pour réfléchir vraiment à ce qu'elle va faire. Ses amis s'inquiètent, lui brandissent le spectre de la "CMV" : «  j'ai mis un certain temps à comprendre que cela signifiait Crise de Milieu de Vie ! ». Elle, ne s'inquiète pas vraiment, elle cherche c'est tout ...

Elle regarde du côté des grandes ONG ; elle pense, à juste titre, que ses compétences de gestionnaire peuvent être utiles, mais elle n’obtient pas d'écho favorable. Après plusieurs échecs, elle fait la rencontre d'un homme, qui aura un rôle décisif pour son avenir, Daniel Porte, un autre ténor du consulting, qui lui ne s'étonne pas de cet accueil un peu frais : « tu leur fais peur avec ton profil, ils ne sont pas encore prêts à intégrer quelqu'un comme toi ». Avec le recul Diane lui donne raison : « aujourd'hui la démarche de professionnalisation des ONG est très engagée, avancée, et intégrer des compétences du monde marchand n'est plus un tabou, au contraire. Mais il y a encore dix ans, je devais passer pour un OVNI ! ».
Heureusement, Daniel Porte la met en relation avec un autre avant-gardiste, septuagénaire, fondateur en Suisse d'une association baptisée Antenna Technologies : Denis von der Weid, dont le principe d' intervention est le suivant : apporter une aide aux plus démunis, pas uniquement par le don, mais par la mise en place d'une économie de moyens créatrice d'activités, générant des revenus solidaires. Bingo ! Là pour le coup, avec son profil de gestionnaire et ses business plans, Diane se sent tout à fait dans son élément … Elle découvre un univers tout à fait différent et la pluralité des activités de la Fondation Antenna, orientée vers la recherche et la diffusion de technologies adaptées aux besoins essentiels des pays en développement ; elle se voit tout d'abord confiée la ….communication des actions de la fondation pour le bureau français d'Antenna autour du développement des fermes de spiruline1 ; « on m'a dit, tu viens de la presse, donc, tu sauras comment communiquer ! » Ce qui n'est pas tout à fait vrai, mais elle apprend, et utilise son réseau de relations pour faire parler des nouveaux projets de lancement de fermes notamment en Afrique de l'Ouest...

Diane intervient comme bénévole et, en plus de la communication, s'occupe de plus en plus de structurer le bureau parisien ; mais il faut bien vivre, aussi si sa quête personnelle trouve son compte avec Antenna, il lui faut aussi assurer ses arrières financiers. Elle intègre le groupe de presse Springer et devient éditeur d'un magazine de cuisine en se gardant un jour par semaine pour Antenna. Jusqu'au jour où, le groupe lui demande de prendre en charge l'édition de Télé magazine, ce qui représente un travail à plein temps... qui lui prend de plus en plus de temps au détriment du reste … Elle se voit revenir en arrière... et ce n'est pas ce qu'elle désire.
Nous sommes en 2005, Diane quitte Springer, crée sa propre activité de conseil pour la presse : média’titudes, et développe en parallèle l'activité France d'Antenna. Elle dispose de son temps et de ses moyens. De 2005 à 2009, Diane va ainsi mener de front des missions pour de grands magazines (Psychologies, Arts Magazine, etc...) et le développement des projets d'Antenna avec l'aide d'autres bénévoles. L'idée de créer son propre magazine la tente, et avec quatre autres amies issues de la presse, elle étudie la création d'un nouveau magazine féminin, nom de code « Josiane », qui, bien avant Causette, se voulait « plus musclé du cerveau que du capiton  ! » Le premier tour de table est une réussite, mais pour finir les investisseurs reculent … la presse indépendante ne va pas très fort.
Nouveau carrefour … et nouveau dilemme... Antenna France avance, mais pour aller plus loin, il faudrait s'y consacrer à plein temps … Avec Denis von der Weid, ils étudient la question et décident de franchir le pas : Diane est embauchée, et devient Déléguée Générale d'Antenna France.

Depuis* elle s'y consacre totalement, toujours fidèlement soutenue par son fondateur et l'équipe de bénévoles qui l'accompagnent. Elle s'est formée au fundraising, s'est créée un nouveau réseau international, organise les campagnes de collecte de fonds, accompagne et suit le développement des fermes de spiruline, des centres de nutrition, en Asie, en Afrique de l'Ouest, à Madagascar, en Centrafrique, communique sur les actions mises en œuvre. « Aujour'dhui, par l'action d'Antenna France, c'est 10 fermes de plus qui fonctionnent dans le monde et de façon autonome, gérées localement par des personnes formées sur place. Et c'est 15 à 20 000 enfants qui ont pu bénéficier de ce programme de nutrition, ce n'est pas rien... »
Mais ce n'est pas suffisant, Diane le sait : « je vais de plus en plus sur le terrain, car ce n'est pas depuis Paris que l'on pourra faire encore progresser les choses : il faut accompagner, cela prend du temps et surtout ne pas imposer nos schémas de fonctionnement : c'est sur place que les choses se passent et on n'a pas forcément la même manière d’envisager le chemin pour aller d'un point A à un point B. C'est à nous de nous adapter pour atteindre le but que l'on s'est fixé et opérer les transferts de technologies et de compétences nécessaires... » Et puis la lutte contre la malnutrition n'est pas sans obstacles : « la malnutrition, ce n'est pas la famine, c'est une mauvaise manière de se nourrir : elle est moins visible, même si elle crée des carences profondes et durables dans le développement des enfants avec des conséquences lourdes sur leur croissance physique et intellectuelle ; c'est aussi une question d'éducation, notamment des femmes, et de politique de la nutrition... la spiruline et les fermes, seules, ne peuvent pas tout résoudre : il faut trouver sur place des partenaires locaux qui acceptent d'englober la problématique dans son ensemble... »
Diane est convaincue que pour ancrer les actions engagées, il faut élargir le champ de vision : « plus d'éducation, faciliter l’accès financier ne serait-ce que pour acquérir les sachets de spiruline au prix coûtant local ! Le micro crédit, l'entrepreneuriat social sont des outils qu'il faudra développer pour avancer ... »

A n'en pas douter, Diane n'est pas au bout de son questionnement ; c'est son moteur, ce qui la fait avancer … Au moment où j'écris ces lignes, elle est à Madagascar, pour écouter, voir, comprendre et imaginer de nouvelles voies, de nouvelles solutions pour aller encore un pas plus loin.

Françoise Bergaglia - Janvier 2013


1La spiruline est une algue connue pour ses capacités nutritionnelles exceptionnelles . Elle se cultive dans des bassins ,se récolte et se traite avec des procédés simples, techniquement et financièrement accessibles. L' axe d'intervention d'Antenna France est le suivant : permettre aux populations où la malnutrition sévit de cultiver de façon autonome la spiruline et d'organiser des réseaux de diffusion économiquement et socialement solidaires.
(* ) Diane est aujourd'hui consultante indépendante pour différents projets sociaux et solidaires.Elle intervient notamment pour le compte de la Maison de l'Artemisia (NDR : màj  septembre 2020)


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