A quoi reconnaît-on un bon artisan ?

... pensées d'artisans
Extraits de "Le Bel Ouvrage, récits et portraits d'artisans" -Françoise Bergaglia -  Ed° Pascal Galodé - 2011.
photographies : Hermine Cleret



Chantal Duclert, de l’Atelier Maury, prépare sa réponse…   « On reconnaît un bon artisan à… (réflexion) son ouverture d’esprit, son côté artiste. Ce n’est pas quelqu’un d’étriqué. Dans son domaine, il s’intéresse à tout, il est curieux, il s’intéresse à ses contemporains… Il faut aussi qu’il soit un peu visionnaire, un peu en avance sur son temps… Je fais une grande différence entre le très bon praticien et l’artisan… Un très bon praticien même le meilleur, s’il n’est que cela, est un très bon technicien, pas un artisan. » Pour Patrick Maury : « Un bon artisan, c’est celui qui dans le cours de son travail pensera toujours à l’étape suivante. C’est aussi celui qui veut aller plus loin dans son envie, sa découverte, qui imaginera une autre solution même pour des choses simples, qui n’est pas toujours dans la répétition. A contrario, le travail d’un moins bon se remarquera, non pas par sa mauvaise facture réellement, mais par sa fadeur… Et puis tout est aussi question des rencontres que l’on fait, de l’envie de donner ou de ne pas donner… »"


François-Xavier Richard, de l’Atelier d’Offard : « Un bon artisan, c’est quelqu’un qui a, certes, le sens du bel ouvrage mais qui a aussi lae se remettre en cause, qui cherche toujours à évoluer, à avancer. Un artisan, c’est le contraire de quelqu’un qui exploite un savoir-faire ancestral sans se poser de questions. C’est aussi une personne qui laisse planer le doute entre artiste et artisan, qui a un vrai regard sur les choses. Un artisan qui n’aurait aucune vision artistique de son travail, même s’il est bien exécuté, ne fera qu’une pâle copie. » Enfin, il ajoute : « C’est aussi quelqu’un qui, dans le contexte actuel, a conscience de l’outil culturel qu’il a entre les mains, conscience aussi d’être un relais d’une époque et qui sait transmettre, partager. »"
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Pour Max, un bon artisan se reconnaît à la manière qu’il a de se débrouiller, de savoir faire avec peu, à sa curiosité, à sa capacité à aller chercher l’information qui lui manque dans ses lectures ou auprès des autres. Mais un vrai bon, c’est celui « qui a l’art dans les mains et la proportion dans l’oeil ». C’est aussi celui qui saura aimer le contact avec le client, qui respectera ses confrères. En couverture, le charpentier est un confrère avec lequel on travaille étroitement. « Sur un chantier, il faut travailler main dans la main. Si l’on ne s’entend pas, le travail s’en ressent et le résultat final aussi. » Pour finir, Max m’a confié une expression un peu mystérieuse, mais que j’ai trouvé très poétique, pour qualifier son travail sur la couverture d’une tourelle : « Il faut avoir le sens de son travail : on volige* la tourelle et on vient se perdre dedans. » Se perdre… pour mieux se laisser prendre par l’édifice et son métier afin de les servir au mieux, dans les règles de l’art ?"



«Différencier un bon artisan d’un moins bon, c’est sans doute une chose délicate à faire, car cela repose sur plein de nuances, et c’est donc très subjectif », selon Louis Benech.  « Il est certain cependant que le bon est le plus heureux des deux ! Plus sérieusement, un bon se caractérise par ses exigences personnelles, sa passion, des temps qui ne sont plus comptés, non pas par sacrifice, mais parce qu’on est transporté par ce qu’on fait ! Ça demande aussi une sacrée “ pêche ”, de l’énergie !

« Je fais par ailleurs une vraie différence entre l’artiste et l’artisan. Pour moi, l’artiste est le stade suprême du talent… j’en reconnais peu… et je pense pouvoir dire que, même chez les grands architectes, qui peuvent se sentir un tempérament artiste, en fait ils ne se prennent pas pour des artistes. Et puis je trouve que l’artiste, aujourd’hui, c’est quand même un “drôle de zèbre”, le champion du marketing ! Honnêtement, je ne suis pas ému par la mégalomanie contemporaine… Certains paysagistes se disent plasticiens du paysage, ils modèlent ou remodèlent… je n’ai pas ce désir, ni cette prétention, d’une part parce que je préfère moins intervenir que trop dans mon approche du jardin, et d’autre part parce que j’ai le sentiment que l’artifice du jardin obéit à des règles ancestrales qui n’ont guère évolué depuis des siècles ! Là où je me sens artisan, c’est parce que j’ai aussi ce sentiment que ma matière,à moi n’a guère changé… Tout va plus vite aujourd’hui, sauf qu’une plante ça ne pousse pas plus vite qu’avant ! J’ai le sentiment de faire partie de ce bastion, de ces métiers où les éléments fondateurs sont toujours les mêmes, indépendamment des époques qui les traversent. En revanche, cela ne veut pas dire qu’on n’est pas créatif ! Je pense qu’on n’invente pas grand-chose dans mon métier, seulement avec l’expérience et la valeur de l’expérience, à laquelle je crois beaucoup, on sait coller, associer entre elles des choses qui n’étaient pas forcément prévues pour aller ensemble, qui fonctionnent, qui vivent et qui créent un résultat tangible. Un jardin, ce n’est pas un concept, c’est un résultat tangible. Être artisan, c’est viser ce résultat. »



Un bon artisan, pour Franck,  c’est un artisan qui n’a pas d’œillères, qui a un esprit ouvert, qui n’hésite pas à prendre conseil et à écouter. C’est quelqu’un qui sait défendre son travail et sa manière de travailler : « À moi de savoir convaincre si je veux intervenir comme je l’entends.» Dans la même optique, il faut aussi savoir faire preuve d’énergie et d’un certain optimisme : « Il faut être le premier à y croire, sinon ça ne marche pas ! » Mais c’est aussi un patron, qui sait donner des directives précises et claires à ses ouvriers. « J’essaie de faire attention à ça, parce que j’en ai souffert moi-même quand j’étais en entreprise et, sans comprendre le sens de son travail, on est vite démotivé, on agit comme une machine, sans savoir si l’on fait bien ou mal… Et au-delà de toute autre considération, un bon artisan, c’est un artisan qui dure et donc qui sait mesurer les risques qu’il prend, y compris financiers. »




Pour Serge de Conti, des Forges du Moulas, le bon artisan c’est celui qui sait retransmettre, qui ne s’enferme pas dans un cocon, est ouvert : « Il faut s’extérioriser au maximum ! Et puis il y a les bons, les très bons et les excellents ; un excellent, il est bon au travail, dans la transmission et dans la relation… mais ça devient rare… aujourd’hui, on demande d’être performant trop vite… il faut laisser le temps aux gens de bien travailler. »









Alors, la performance selon ces artisans, résumons nous  :
Ouverture, curiosité, vision, imagination, anticipation, envie, découverte, générosité, remise en cause, évolution, art, conscience, relais, transmission, partage, débrouillardise, lecture, échange, respect, entente,...
Ecoute, énergie, optimisme, clarté, sens, conviction, durée, exigence, temps consacré, expérience, résultat tangible.

A méditer !


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